Svalbard : Entraînement #2 avec Eric Philips
En novembre 2018, Matthieu Tordeur va tenter de skier de la côte du continent Antarctique jusqu’au pôle Sud en solitaire et en autonomie totale.
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Svalbard : Entraînement #2 avec Eric Philips

Svalbard : Entraînement #2 avec Eric Philips

 

Le 20 mars j’ai embarqué pour Longyearbyen au Svalbard, en Arctique pour un second entraînement. Contrairement à mon entraînement en Norvège, je ne serai pas seul. Je rejoins un groupe et Eric Philips, un guide polaire professionnel qui connait les pôles mieux que personne. Pendant les 2 prochaines semaines, Eric va pouvoir me coacher sur la navigation, le déplacement et la gestion de la vie en expédition. J’ai une tonne de nouvel équipement à tester et plein de conseils à recevoir.

Le Svalbard est un petit archipel norvégien à presque 80° de latitude Nord. Pour la première fois de ma vie, je serai à un peu plus de 1000 km du pôle Nord.

 

Jour 1 :

On a passé la journée à préparer les 10 jours à venir : sélection du matériel, répartition de la nourriture, formation sur les armes pour se défendre contre les ours polaires… On sent qu’on est bien au nord dans le cercle polaire Arctique, il fait un froid mordant. Je me sens prêt et mon équipement a l’air bien adapté aux rudes conditions à venir. J’ai hâte d’y aller !

 

 

Jour 2 :

Pour commencer l’expédition, nous avons embarqué sur le MS Fram qui nous a emmené en 3h de navigation, à Tempelfjorden, connu pour sa vue imprenable sur l’impressionnant glacier Tuna. Après plusieurs passages à briser la glace, le bateau s’est échoué sur la banquise et nous avons débarqué nos pulkas. Avant de partir, un phoque nous a salué dans un plongeon gracieux.

 

 

Jour 3 :

Réveil sous le soleil ce matin. Pour cette expédition nous sommes un groupe de 7 personnes. Il y a un couple d’américains, Denise & Jonathan, Ilse qui vient d’Australie, Anthony un australien qui prépare aussi une expédition en Antarctique cette année et Sean qui assiste notre guide Eric Philips. Tout le monde n’a pas forcément l’habitude du camping polaire et les départs sont assez lents. Je suis de mon côté fraîchement revenu de Norvège il y a quelques semaines et je suis assez efficace. J’en profite pour apprendre et assimiler les nouvelles techniques qu’Eric m’enseigne. C’est une mine d’or.

Sur ce bras de mer gelé, la glace est épaisse mais le sel présent sur la banquise accroche un peu nos pulkas. Mais je suis si heureux de retrouver cette sensation de glisse et de liberté. Le paysage est à couper le souffle. Le ciel est en feu au coucher du soleil, pas d’ours polaire à l’horizon mais probablement des aurores boréales. J’ai toujours rêvé d’être ici.

Nous avons fait une quinzaine de kilomètres aujourd’hui. Nous avons skié toute la journée sur le fjord de Templefjorden. Avec le soleil, il n’a pas fait très froid, environ -15°C. J’ai hâte de tester mes nouveaux équipements dans des températures inférieures, mais pour le moment ils sont très performants. Nous montons le camp vers 17h. J’aime ce moment. Chaque soir, je répète les mêmes gestes, j’ai la même routine. Il faut être le plus efficace possible pour rapidement trouver refuge dans sa tente, à l’abri du vent. Avant d’enlever ses chaussures de ski, il faut penser à tout. Prendre le petit déjeuner du lendemain dans sa pulka, tailler des morceaux de glace avec sa pelle et les mettre dans un sac pour les faire fondre grâce à un réchaud multi-combustible MSR . Je verse ensuite l’eau dans des thermos Stanley et je l’utilise pour réhydrater mes plats Lyophilisé & Co. Avant de me coucher, j’écris mon carnet de bord. J’envoie aussi quelques photos et ce texte par satellite, grâce à un Iridium Go! qui m’est généreusement prêté par Satavenue.com.

 

Jour 4 :

Il y avait du vent au réveil. La journée s’annonçait plus fraîche et la route moins évidente. Nous avons commencé par slalomer au pied du glacier entre les morceaux de glace et les cailloux en passant sur de grandes plaques de glace bleu éclatant. C’était glissant et, à son contact, la pulka partait dans tous les sens. L’objectif de la journée étant de monter au sommet du glacier à environ 350 m d’altitude, j’ai passé pas mal de temps à suivre le guide. Avec quelqu’un devant, il n’y a pas besoin de se concentrer sur la route. Il suffit de suivre les traces, les yeux rivés sur ses skis. Sur les miens, il y a marqué E99 Fischer. Autant que je m’habitue dès maintenant. Avec le vent, il a fallu se protéger et ne laisser aucune peau à nue.

Capuche sur la tête, emmitouflé avec un masque et des lunettes, on est rapidement isolé du monde extérieur. Ainsi protégé, je suis machinalement les traces de ski à mes pieds. Je suis comme dans une bulle à répéter les mêmes gestes pendant plusieurs heures et je laisse courir le fil de mes pensées. Je fais des rêves les yeux ouverts. Je pense à l’Antarctique, au travail qu’il me reste à accomplir avant d’y être, à mes nouveaux projets…

Sans que je ne le vois venir, nous nous arrêtons déjà pour monter le camp vers 17h. Il y a toujours du vent. J’attache ma tente à ma pulka pour la monter et éviter qu’elle ne s’envole dans les rafales. Je trouve rapidement refuge à l’intérieur. Ce soir, c’est Chicken Tikka Masala, j’ai pris des rations doubles pour mes dîners et je ne regrette pas ce choix. J’ai une faim de loup !

 

Jour 5 :

Nous sommes toujours sur le glacier à 615 m d’altitude. Les ascensions, harnaché à une pulka de 60 kg, sont éprouvantes, mais les vues qu’elles offrent sur les montagnes du Svalbard valent tellement le coup. En Antarctique, cela sera relativement plat et je n’aurai pas autant de dénivelé, mais au moins j’entraîne mes jambes !

J’écris ce message depuis mon sac de couchage, dans ma tente où il fait -21°C, une gourde d’eau bouillante entre les cuisses pour me réchauffer et pour éviter qu’elle ne gèle si je la laisse en dehors du sac de couchage.

J’attends toujours de voir des ours polaires, je commence à me demander si le pistolet à fumigènes dans l’entrée de ma tente est d’une véritable utilité. Apparemment, eux aussi ont faim et ne traînent pas trop sur les glaciers mais plutôt au bord de l’océan pour chasser… Demain, nous devrions descendre dans la vallée et couvrir plus de distance.

 

Jour 6 :

Appel satellite depuis le Svalbard : 🔊

« Ça fait déjà 3 jours que je suis au Svalbard, là je vous appelle de ma tente. Il y a un peu de vent aujourd’hui donc la connexion n’est pas très bonne. Et en plus de ça, j’appelle par satellite et le vent claque sur la toile de tente. Mais on avance bien, le groupe dans lequel je suis est plutôt très sympas, le guide est très compétent, il me donne pas mal de conseils. On continue d’avancer, il nous encore 5 ou 6 jours de ski. On n’a toujours pas vu d’ours polaire, mais je ne perds pas espoir! »

 

Nous sommes aujourd’hui descendus du glacier et arrivés dans la vallée. En une journée seulement, nous avons perdu toute l’altitude durement gagnée ces derniers jours (650 m). Dans les grosses descentes, on a fait ce que le guide appelle le « toboggooning ». Cela consiste à enfourcher sa pulka, un ski de chaque côté et à se laisser descendre tout droit. C’est efficace, rapide et plutôt marrant ! Je n’ai pas vu la journée passer. Cela peut paraître étonnant parce qu’on skie en moyenne 7h par jour, mais aujourd’hui, le terrain ondulait, il y a eu des descentes et des virages. Pas le temps pour l’ennui.

Le glacier derrière nous, nous sommes passés devant des montagnes de glace bleue et de roche noire dans la vallée. J’ai aussi été pas mal occupé par la navigation. Eric m’a formé sur l’utilisation de mon GPS et de ma boussole en conditions réelles. J’utiliserai ce sytème en Antarctique donc autant commencer à le maîtriser ici au Svalbard.

J’ai pas mal changé de matériel et d’équipement par rapport à mon dernier entraînement en Norvège. Je me familiarise un peu plus tous les jours avec ce que j’ai emmené, et cela me semble correspondre parfaitement aux conditions d’expédition dans le froid extrême, surtout mes vêtements Mountain EquipmentNous ne devrions plus grimper beaucoup jusqu’à Longyearbyen. Il fait aux alentours de -20°C ces prochains jours avec un petit vent d’environ 7-10 km/h. Rien de bien méchant, des températures de Printemps !

 

Jour 7 :

Il a fait chaud aujourd’hui, avec pas mal de soleil et 7h de ski dans les jambes. La vallée est toute plate et on a avancé dans les mêmes conditions qu’une expédition en Antarctique. C’est à dire par blocs d’une heure au terme desquels on fait une courte pause. Dans un paysage monotone, c’est comme ça qu’il faut avancer : en s’imposant un rythme. Les heures passent plus ou moins vite, mais le temps aujourd’hui était magnifique, ce qui a facilité notre progression. C’est drôle comme en répétant les exacts mêmes gestes toute la journée dans ce paysage polaire, on perd la notion du temps.

J’ai fait fondre de la neige pour remplir mes 3L de gourdes et thermos et je m’apprête à me coucher. Il est à peine plus de 21h. J’aime la simplicité de la vie en expédition, où le quotidien consiste à monter sa tente, faire fondre de la neige, manger, dormir, skier. Recommencer.

Nous ne sommes plus qu’à 35 km de Longyearbyen, notre point d’arrivée. Demain nous passerons dans une autre vallée.
Comme tous les soirs j’envoie mes photos de la journée grâce à mon Iridium Go! merci SATavenue ! C’est un petit modem satellite sur lequel je peux me connecter directement en wifi depuis mon téléphone. Le débit est très lent (2,4 kb/s) d’où la qualité des photos, mais ça me permet de communiquer avec le monde extérieur.

 

Appel satellite depuis le Svalbard : 🔊

« Au début de cette expédition, on est montés sur un grand glacier, qui nous a pris plusieurs jours parce que le sommet était à environ 650 m d’altitude. Avec les pulkas assez chargées, on a mis un peu de temps à atteindre le sommet. Là, on est redescendus dans la vallée et on s’est mis un peu plus en mode expédition polaire. Maintenant, c’est plat. On essaie de faire des blocs d’une heure où on skie à fond, ensuite on fait une pause pendant 10 minutes, on mange un petit bout, on boit un peu et on reprend. Aujourd’hui, on a fait 7h de ski, on a fait à peu près 18 km je crois. Donc on ne va pas à un rythme très important mais on s’adapte. »

 

 

Jour 8 :

La journée a commencé en blanc. Un ciel couvert avec quelques flocons. Des conditions proches du « whiteout » que j’aurai très certainement en Antarctique – c’est à dire des conditions où il est impossible de faire la distinction entre le ciel et le sol. La navigation se fait alors quasiment à l’aveugle. Heureusement pour nous, le brouillard s’est rapidement dissipé et a laissé place à une grande vallée sertie de montagnes. Sur leurs flancs, quelques rennes sauvages erraient. J’ai malheureusement fait de très mauvaises photos d’eux, mon pote Jérémie Villet ne serait pas très fier de moi !

J’ai passé une bonne partie de l’après-midi à discuter en skiant côte à côte avec Eric. On a parlé histoire de l’exploration polaire et expéditions plus récentes. Eric est allé 10 fois au pôle Sud et 15 fois au pôle Nord, alors forcément, quand je lui évoque le nom de Jean-Louis Étienne, le parrain de mon expédition « Objectif Pôle Sud », un petit sourire se lit sur son visage. Et en me regardant il me lâche un « Of course ».

 

Jour 9 :

Tout plat jusqu’à l’arrivée ! Plus nous approchons de Longyearbyen, plus nous croisons des touristes et des locaux sur des scooters des neige qui viennent se balader dans les environs pour la journée. Dernier déjeuner au soleil. Pendant 8 jours, mes déjeuners ont été les mêmes. Le matin, je mets un sachet de noodles dans un mug et le midi, j’y verse de l’eau chaude avec un thermos. Par -20°C, c’est compliqué de manger à mains nues. J’utilise donc une grande cuillère avec laquelle je puise dans mon sac de nourriture, du fromage, des crackers et du salami.

Ce soir, nous campons à 10 km de Longyearbyen, la ville n’est plus qu’à un jet de pierres. Il y a beaucoup de glace, et pour la première fois, nous avons dû sortir les vis à glace pour arrimer les tentes au sol. Nous devrions déjeuner en ville vendredi midi.

 

Jour 10 :

J’ai appris tellement de choses d’Eric en 10 jours, autant sur le matériel que la navigation, le management du froid, l’habillement ou la nourriture… Je me sens beaucoup plus confiant et prêt pour l’Antarctique.

De retour au chaud à Longyearbyen, la plus grande ville du Svalbard. C’était mon dernier entraînement en conditions réelles pour ma prochaine expédition au pôle Sud qui commencera en novembre 2018.

 

 

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#ObjectifPôleSud

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